Douze
pays de la région Asie-Pacifique se sont accordés, lundi 5 octobre, sur un
traité de libre-échange discuté depuis 2008 (TPP ; voir article plus
ancien). Mais sans la Chine et sans l’OMC. Ensemble, ils pèsent 40% du PIB mondial
et un tiers du commerce planétaire.
Les partenaires
commerciaux traditionnels de la Chine se sont ainsi rapprochés des Etats-Unis. Un
alignement des normes environnementales et salariales sur des standards
américains serait même prévu même s'il existe un risque de disparition totale
ou partielle de certains secteurs agricoles traditionnels. L’accord prévoit notamment
une ouverture substantielle des marchés des produits agricoles pour le Canada,
les États-Unis et le Japon (sucre, du riz, du fromage ou bœuf).
Il reste
toutefois à obtenir l’accord du Congrès américain.
Le TPP
fait suite à l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) conclu dans les
années 1990. Les Etats-Unis sont donc une fois de plus à l’origine de la définition
des règles du jeu du commerce mondial.
C’est
plusieurs accords régionaux de commerce et d’investissement qui sont en cours
de négociation avec le Partenariat transatlantique pour le commerce et
l’investissement (TTIP), qui se trouve ainsi relancé, ou l’accord déjà conclu
entre le Canada et l’Europe.
Bien
entendu, le texte négocié du TPP reste confidentiel et tous les documents sont
considérés comme non divulgables pendant encore quatre ans.
Le TPP,
comme le TTIP, prévoient des mécanismes d’arbitrage privés (ISDS), c’est-à-dire
un système juridique parallèle aux juridictions nationales, offrant la
possibilité aux entreprises de les contourner. Les arbitres ne sont toujours
pas des juges publics et les conflits d’intérêts ne sont pas réglés puisque les
arbitres continueront de provenir de sociétés d’avocats d’affaires strictement
intéressées par un système très lucratif.
L’ISDS
reste un système qui fait peser sur les États et les contribuables la menace de
très lourdes sanctions financières. L’ISDS est d’abord un outil pour faire
pression sur les collectivités territoriales, les États ou les institutions
européennes afin de geler les législations qui leur déplaisent.
Ces
sanctions ne sont pour autant pas nouvelles. Ainsi, en 2014, l’Organisation mondiale
du commerce (OMC) a par exemple condamné les Etats-Unis pour leurs boîtes de
thon labellisées « sans danger pour les
dauphins » et pour l’indication du pays d’origine sur les viandes importées, ces
mesures protectrices étant considérées comme des entraves au libre-échange.
Elle a aussi infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines
de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement
modifiés (OGM). Mais, avec ces accords, les multinationales pourront poursuivre
en leur propre nom un pays signataire dont la politique aurait un effet
restrictif sur leur commerce.
On a également
pu voir récemment des sociétés européennes engager des poursuites contre
l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des
émissions toxiques au Pérou.
Il n’y a
pas de limite aux pénalités qu’un tribunal peut infliger à un Etat au bénéfice
d’une multinationale. Il y a un an, l’Equateur s’est vu condamné à verser 2
milliards d’euros à une compagnie pétrolière. Selon la Conférence des Nations
unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le nombre d’affaires
soumises aux tribunaux spéciaux a été multiplié par dix depuis 2000.
Comme
toujours, les lobbies exercent une grande pression pour la conclusion de ces
accords, tel le Trans-Atlantic Business Council (TABC), forum permanent qui
permet aux multinationales de coordonner leurs attaques contre les politiques
d’intérêt général. Monsanto ne cache d’ailleurs pas son espoir que la zone de
libre-échange transatlantique permette d’imposer enfin aux Européens son
catalogue de produits OGM en attente d’approbation.
Il en va
de même avec les gaz à effet de serre. L’organisation Airlines for America, qui représente des transporteurs aériens américains, a établi une liste des règlements
qui leur portent préjudice, principalement le système européen
d’échange de quotas d’émissions, qui oblige les compagnies aériennes à payer
pour leur pollution au carbone. Bruxelles a provisoirement suspendu ce
programme.
Mais
c’est dans le secteur de la finance que la pression est la plus importante.
Cinq ans après la crise des subprimes, les principaux acteurs financiers
considèrent que la régulation de l’industrie financière n’avait plus lieu d’être.
Côté
américain, on espère surtout que le TTIP enterrera le projet européen de taxe
sur les transactions financières. La Commission européenne estime déjà que
cette taxe n’est pas conforme aux règles de l’OMC.
Enfin,
le TTIP entend ouvrir à la concurrence à d’autres secteurs notamment d’intérêt
général. Les Etats signataires se verraient contraints non seulement de
soumettre leurs services publics à la logique marchande, mais aussi de renoncer
à toute intervention sur les fournisseurs de services étrangers qui convoitent
leurs marchés. Les marges de manœuvre politiques en matière de santé,
d’énergie, d’éducation, d’eau ou de transport se réduiraient comme peau de
chagrin.
Pourtant peu de réaction en Europe. A l'exception d'une manifestation monstre qui a eu lieu samedi 10 octobre 2015 à Berlin pour protester
contre le TTIP. L'opposition au Partenariat transatlantique de commerce et
d'investissement ne cesse ainsi de croître en Allemagne. 250.000 personnes
auraient participé au rassemblement, soit davantage que prévu. La police parle
de 100.000 participants. Il s'agit de "la manifestation la plus importante que
ce pays ait vu depuis de nombreuses années", a lancé aux manifestants
Christoph Bautz, directeur de Campact, un mouvement de citoyens.
Et si d'autres initiatives citoyennes suivaient ? Pourquoi ne pas y croire après tout ? Il s'agit sans aucun doute d'un des sujets de mobilisation les plus urgents et des plus importants pour notre avenir.
A bon entendeur...